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RÉSUMÉS DES INTERVENTIONS

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2. LA QUESTION PAYSAGÈRE

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"Pieve, paese, è paisaghju. Originalités des appropriations spatiales et

patrimoniales corses"  

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Yannick CAMPION

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Je propose d’interroger, lors de ce colloque, les enjeux liés à la patrimonialisation des territoires corses via le concept de paysage. À l’échelle de l’île d’abord, je montrerai comment l’idée de paysage resta, jusque très récemment, relativement étrangère aux représentations insulaires. À la fin du Moyen Âge, sous la pression des raids barbaresques et des ravages de la malaria, les populations corses désertèrent les plaines côtières pour s’installer en moyenne-montagne. Pratiquant une économie agro-pastorale de subsistance, elles n’utilisaient alors les plaines que comme des espaces de transhumances hivernales et de cultures de céréales sur brulis. Définitivement conquise par Gênes au début du XVIe siècle (1), l’île se vit imposer une série de politiques agricoles coloniales, censée permettre la mise en culture de ces plaines. Influencés par les paesaggi toscans, lombards et ligures, ces « projets de paysage » échouèrent pour la plupart. Cette situation a conduit au maintien de deux constructions sociales, spatiales et territoriales insulaires : la pieve (2), et le paese (3). Identitaires, ces formes d’occupation de l’espace ont perduré jusqu’à l’annexion de l’île par la France, à la veille de la révolution française. A la fin du XIXe siècle, elles contribuèrent à l’affirmation de la culture corse, en réaction contre les représentations exotiques et naturalistes de l’île, dont la littérature et la peinture de paysage furent des vecteurs principaux (4). Dans la deuxième moitié du XXe siècle, abandonnant définitivement les monts pour les villes portuaires, les corses attachèrent à la pieve et au paese une dimension mémorielle, symboles d’une société agro-pastorale désormais révolue. C’est donc très récemment, sous l’influence des représentations étatiques, touristiques et de la démocratisation de la photographie numérique, que les paisaghji furent perçus par les corses comme identitaires. J’illustrerai cette mutation par les projets du laboratoire LISA, qui mettent désormais la question des paysages au cœur des processus de patrimonialisation (5).

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Enfin, à l’échelle de l’extrême sud de l’île, je montrerai comment se construit actuellement une identité territoriale locale autour de la plaine agricole du Fretu (6). Depuis quelques dizaines d’années en effet, et plus récemment sous l’impulsion d’internet, ce territoire, dépourvu de limite administrative propre, voit les initiatives associatives et culturelles s’y multiplier. Circonscrit entre une mer et une montagne appréciées des touristes amateurs de nature et de beaux paysages, le Fretu n’est pourtant visité que par de rares voyageurs. Bien qu’il soit l’objet de préoccupations esthétiques et écologiques, l’identité de ce territoire semble s’écrire autrement que par la contemplation d’un paysage. Ce processus se retrouve davantage dans la défense d’un dialecte en sursis, l’affirmation d’une culture peu visible, perdue dans le maquis, mais dont les modestes traces laissées par les bergers d’antan, longtemps ignorées, commencent aujourd’hui à acquérir une valeur patrimoniale.

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1. Le XVIe siècle voit émerger dans différentes langues le mot paysage, désignant alors la représentation picturale d’un pays.

2. Importée d’Italie, la pieve est une unité territoriale religieuse médiévale. L’originalité de la Corse a été de faire perdurer cette forme à l’époque moderne en y agrégeant des attributs économiques et judiciaires.
3. En langue corse et à la différence de l’italien, le paese désigne le village plus que le pays au sein duquel il est inscrit.
4. Avant le XXe siècle, la peinture de paysage est très peu pratiquée au sien des ateliers corses, dont les préoccupations sont avant tout religieuses. Elle y émerge au début du XXe siècle. Mais à la différence des peintres continentaux qui magnifient les beautés de la nature, c’est la vie au village qui sera au centre des représentations corses.

5. Je pense par exemple à l’édition numérique de la chronique médiévale corse de Giovanni della Grossa, relue sous l’angle des paysages et du patrimoine, et à laquelle je participe.
6. La plaine du Fretu, ou Pian' d'Avretu, désigne la dépression géomorphologique située entre le golfe de Porto-Vecchio et la 
Baie de Figari. Elle fut longtemps un espace de transhumance hivernale d’une partie des populations montagnardes de l’Alta Rocca, avant d’être investie de manière permanente au XIXe siècle.

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"Patrimonialisation des paysages fluviaux de la rivière Han (Chine) et du fleuve Sénégal, universalités et singularités

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Armelle VARCIN et Le WANG

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Nous souhaitons présenter une réflexion sur la patrimonialisation des paysages fluviaux à partir d’un dialogue plus que d’une comparaison entre deux situations culturelles différentes, en Chine et en Afrique de l’Ouest. Nous faisons l’hypothèse qu’il se met en place à l’échelle mondiale des processus communs de patrimonialisation qui nous invite à identifier les caractères locaux qui singularisent ces modes opératoires usuels et à rechercher comment les populations locales sont impactées. Après avoir rappelé quels sont les invariants universels des relations de l’homme à l’eau et résumé les spécificités locales des deux sites étudiés, l’objectif est de montrer d’une part comment, dans chacun des cas, le paysage fluvial constitue en soi un patrimoine pour ses riverains (au sens propre du terme) et pour les collectivités locales, et d’autre part, comment une approche culturelle qui active ou réactive l’histoire de l’urbanisation de ces territoires en révèle des qualités dont les propriétés deviennent des outils pour le développement de ces territoires.

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Les notions de paysage et de patrimoine se rencontrent dans le fait qu’il s’agit de deux constructions sociales et intellectuelles, qui ne vont pas de soi, et qui relèvent de systèmes de valeurs reconnues ou partagées par un groupe social. Les paysages fluviaux constituent traditionnellement des patrimoines ressources pour la pêche, la production d’énergie, le transport et les échanges et des patrimoines culturels immatériels. Ils ont été, en Chine comme au Sénégal, parfois défigurés au profit d’une industrialisation de la production agricole, d’énergie hydroélectrique et de la production d’eau potable. Dans les deux cas d’étude, la notion de paysage fluviale comme patrimoine est relayée aujourd’hui par des collectivités territoriales ou des pouvoirs politiques, des programmes de valorisation de ces territoires sont mis en œuvre ponctuellement ou sont dissémines le long des cours d’eau. Ils invitent à comprendre (à redécouvrir) les processus de développement urbain dans chacun de ces bassins versants. Cette patrimonialisation s’opère souvent avec la mise en avant de volets culturels, considérés communément comme des leviers économiques. Les bénéficiaires dépassent les riverains mais les concernent aussi directement. Nous chercherons à identifier par l’analyse de ces deux situations, comment la spécificité locale des modes opératoires de patrimonialisation deviennent des faire valoir (de quoi et pour qui) et alibi (de quoi ou de qui) ou des outils de développement local.

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Autrement dit, nous montrerons comment la patrimonialisation des paysages fluviaux provoque une relecture des sites urbains historiques, et comment une approche culturelle devient un enjeu de développement local même si les enjeux se situent aussi à une autre échelle. Les sites d’études se situent autour du bassin versant de la rivière Han et autour de la basse vallée du fleuve Sénégal sénégalaise. La rivière Han, également dénommée Han shui ou Han Jiang en Chine, est le plus long affluent du fleuve Yang-Tsê qu’il alimente sur sa rive gauche. Une grande ville, Wuhan est installée à sa confluence avec le fleuve. Le fleuve Sénégal est un fleuve transfrontalier, il prend sa source en Guinée, puis traverse le Mali avant de rejoindre l’océan Atlantique au niveau de la ville de Saint-Louis.

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Chacun des sites fait l’objet d’un travail de recherche des co-auteures qui par ailleurs sont associées dans un travail d’enseignement du paysage à Lille et à Wuhan. Une bibliographie sur le patrimoine, le territoire et le paysage ainsi que sur les 2 terrains d’étude complètent cette proposition.

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