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RÉSUMÉS DES INTERVENTIONS

10. ARCHIVES VISUELLES

 

"Le projet « Mémoire du travail en roannais », autour du fonds photographique Lucas du musée Joseph Déchelette de Roanne" 

Anne -Céline CALLENS et Axelle JOURNAIX  

Axelle Journaix est chargée de l'accueil du public et des chercheurs à la bibliothèque du Musée Joseph Déchelette de Roanne depuis janvier 2010. Exclusivement consacré à l’archéologie et aux beaux-arts, ce centre de documentation a la particularité de posséder, outre des imprimés et des périodiques acquis depuis le XIXème siècle, des fonds patrimoniaux, des archives et des documents iconographiques, et notamment des fonds photographiques.

Si certains d’entre eux ont déjà fait l’objet de campagnes de numérisation et sont accessibles sur la bibliothèque numérique de Roanne (www.memo-roanne.fr), il a été réamorcé une collaboration entre le Musée et l’Université Jean Monnet de Saint-Etienne à l'arrivée d'Anne- Céline Callens, membre du Centre Interdisciplinaire d’Études et de Recherches sur l’Expression Contemporaine. Le CIEREC est la structure porteuse du projet « Patrimoines et territoires : mémoire du travail en roannais » soutenu par la DRAC, la région Auvergne Rhône-Alpes et l’Université Jean Monnet, engagé avec le musée sur le fonds photographique Lucas qui est propriété de la Ville de Roanne depuis janvier 1987.

Ce fonds Lucas regroupe les photographies de deux générations de photographes de Roanne : Robert Lucas (1893-1954), le père, en activité de 1924 à 1943 et Michel Lucas (1922-1993), son fils, qui lui succédera en 1945 jusqu’à sa retraite. Ces deux photographes professionnels étaient spécialisés dans la photographie industrielle et commerciale Roannaise. Ils honoraient les commandes des industriels du secteur (textile, construction mécanique, métallurgie, papeterie...) de leurs vues intérieures ou extérieures, en particulier d’ateliers de production. Les industriels leur passaient également commande de prises de vues des pièces qui pouvaient en sortir, celles-ci servant alors d’illustrations à leurs catalogues ou plaquettes commerciales. Robert et Michel Lucas ont également photographié des activités commerciales (foire, commerces, modernisation des installations dans les années 1950/60) ou des équipements collectifs (écoles, hôpital, etc.). Ces reportages ont ainsi une valeur historique et documentaire. Ils témoignent des nombreuses activités exercées autrefois sur le territoire Roannais et aujourd’hui disparues.

La recherche consacrée à cet important fonds a dû débuter par son classement, son indexation, son traitement et son reconditionnement. Elle se poursuit actuellement avec sa numérisation (en 2019). Le fonds se constitue de près de 9515 documents, répartis en 5887 négatifs (sur plaques de verres, plans films et pellicules de formats divers) et 3628 tirages photographiques. Un groupe de travail de « bénévoles-experts en Roannais » s’est également constitué avec Micheline Petiot, Jane et Gérard Robellet pour des séances de travail encadrées au musée. Il sera poursuivi d'une étude vraisemblablement participative dans les années à venir, de sorte à venir compléter des informations manquantes.

"Les archives, l'archiviste et l'évolution de la notion de territoire"

Pierre-Régis DUPUY  

Les archives conservées par les services publics d'archives ont fait l'objet d'une sélection conformément à l'article L 212-3 du code du patrimoine. Elles sont donc patrimonialisées par la loi et cette sélection, encadrée réglementairement, fait en quelque sorte office de processus de patrimonialisation. La territorialité est une notion fondatrice de la pratique archivistique française. En effet les archives sont conservées par le service d'archives territorialement compètent afin d'en garantir un accès facilité au citoyen. Ainsi le réseau archivistique se structure par des services avec une compétence territoriale et administrative clairement établie. Mais les évolutions technologiques de la production documentaire et de son accès associé à un renouvellement des demandes sociales imposent de requestionner le lien qui unit le territoire et ses archives.

1. La fin du territoire?

L'avènement du numérique comme mode d'accès privilégié aux archives via notre site web engendre une importante modification de nos publics. Les internautes sont plus nombreux et consultent plus de documents que les chercheurs salle de lecture. L'origine géographique de notre lectorat se diversifie, libéré des contraintes de la distance. La dématérialisation des procédures administratives entraîne également un mouvement de recentralisation de la conservation des données. Ainsi les données produites par les services de l'État sur le territoire du département pourraient ne plus être collectées et conservées par les archives départementales territorialement compétentes mais par les services centraux. Dans la même logique les métropoles pourraient conserver les données patrimoniales des communes membres. D'une façon plus générale le big bang territorial de ces dernières années bousculent l'organisation classique des services d'archives.

2. Une attente sociale renouvelée

L'ancrage territorial des archives semble au contraire se renforcer auprès de nos partenaires comme auprès du public. L'exemple du dépôt des archives historiques de Casino aux AMSE est de ce point de vue particulièrement éclairant. Le groupe multinational a fait un choix identitaire fort assumant et valorisant son enracinement local. Cela définit en creux la perception du positionnement des AMSE auprès du groupe et des citoyens. Ce dépôt peut également être vu comme une opportunité en termes de communication et de positionnement commercial pour le groupe.

Désormais à écrire au pluriel, les publics attendent de nous une médiation efficace et adaptée pour un contenu scientifique de qualité. Le succès des expositions comme celui des ateliers scolaires nous positionne comme un service expert en histoire et patrimoine locaux. Dans un contexte marqué par une accélération des évolutions technologiques et administratives, le lien des services publics d'archives avec leur territoire se transforme. Il n'est plus dicté uniquement par des contraintes physiques de consultation mais par une recherche de sens et d'identité.

"Faire patrimoine par la contribution photographique : pluralité des postures institutionnelles et valeurs diffuses des documents photographiques"

Julia BONACCORSI et Nicolas NAVARRO 

La publication en ligne de photographies offre la possibilité de constitution de corpus complexes à partir d'énonciations ordinaires, amateures, prenant notamment pour accroche l’environnement urbain ou naturel. Les réseaux socio-numériques deviennent ainsi le cadre de pratiques individuelles de documentation voire d’archivage du territoire et de son patrimoine par la photographie. Les documents photographiques qui y sont publiés sont construits de manière ambivalente par ces photographes amateurs, revendiquant autant l’expression d’une part créatrice et subjective qu’une représentation documentaire. Cette territorialisation est opérationnalisée par une inscription spatio- temporelle de la photographie comme document (datation et géolocalisation quasi systématiques, mots-clés, légende), trace de ce projet documentaire.

Les institutions patrimoniales s’emparent depuis peu de ces pratiques sociales en reconnaissant une potentialité, un « devenir-archive » à ces photographies. Certaines d’entre elles sollicitent ainsi ces productions amateures par la mise en œuvre de concours photographiques en ligne, sur leur site internet ou réseaux socio-numériques. Ces dispositifs de médiation reposent sur l’enjeu de la sensibilisation et celui de la collecte, notamment d’un patrimoine insolite et alternatif. Quelle signification du « patrimoine » est définie in fine dans ces projets, et à quelle conception du territoire renvoie-t-elle ?

Cette proposition de communication s’appuie sur une analyse ethno-sémiotique de concours photographiques réalisés au sein d’institutions culturelles en France et au Québec. Des entretiens semi-directifs ont été menés en 2018 auprès d’acteurs de ces institutions afin de saisir les conditions de mise en œuvre des concours, leurs liens avec les missions et les collections de l’institution et les processus de médiation et médiatisation associés. Cette enquête considère particulièrement les processus de documentarisation des images et les séries constituées pour leur publicisation (règlement du concours, expositions, diaporamas, intégration dans les collections numérisées et photothèques, etc.).

Cette analyse révèle une diversité à la fois des statuts de la photographie privée sollicitée et des postures institutionnelles. À un premier niveau, la photographie intervient dans l’ensemble de la chaîne patrimoniale : la conservation où elle vient contribuer aux collections, la recherche en tant que ressource préalable à l’élaboration d’un discours collaboratif, et la communication en tant qu’un outil pour le renforcement de la relation entre l’institution et le public lors d’événements par exemple.

Elle possède alors à un second niveau une potentialité d’archives patrimoniales dont se saisissent de manière diversifiée les acteurs des institutions, déployant tout à tour des postures de chercheur, d’iconographe ou de documentaliste. Ces postures témoignent également de la diversité des rapports engagés entre les institutions patrimoniales et leur public, et des valeurs plurielles et diffuses attribuées à ces représentations photographiques du territoire en tant que signes du patrimoine.

"Le patrimoine fluvial de la Bourgogne : les avatars d’un paysage « éternel »"

Virginie MALHERBE et Aurélie LALLEMENT 

Les paysages inspirés par les voies d’eau invitent à la promenade bucolique, évoquent le bien-être et la douceur de vivre. Ils sont pourtant à mille lieux de la réalité. Les archives conservées sur les canaux et rivières en Bourgogne révèlent à la fois le regard porté sur ces objets industriels et son évolution sur les 200 dernières années. Mais elles montrent aussi, pour qui sait les lire, les transformations et les mutations de tout un territoire autour de ces voies d’eau, dépendant ou non de celles-ci. 

Notre intervention, qui porte sur deux rivières - la Saône et la Seille (pour sa partie canalisée) – et sur les canaux de Bourgogne, du Nivernais et du Centre, se fonde sur une étude complète de ces voies d’eaux effectuée par la Région Bourgogne-Franche-Comté. Conduite selon la méthode de l’Inventaire général du patrimoine culturel, elle illustre la nécessité de prendre en compte le territoire comme objet d’étude et de s’interroger sur les interactions entre les éléments recensés et étudiés et leur intégration dans ce dernier. En effet, ces quelques 1000 kilomètres de voies navigables traversent les quatre départements bourguignons et de fait, des paysages très variés : de la campagne la plus reculée à la capitale régionale, Dijon. 

La diversité des voies d’eau concernées, tout comme celle des territoires parcourus permet une étude comparative fine du développement et de l’aménagement de ces espaces sur plusieurs siècles. Au-delà du patrimoine fluvial à proprement parler (installations hydrauliques, modification des abords immédiats), les documents iconographiques et les archives aident à retracer la vie quotidienne le long de ces axes structurants, avant et après leur industrialisation.

Cette étude montre également comment l’image du patrimoine que constituent les voies d’eau évolue avec le temps : les enjeux économiques et industriels cédant progressivement le pas aux dynamiques touristiques et territoriales. De fait, elle concourt à apporter une lecture renouvelée du territoire, en y intégrant une approche historique de leurs aménagements, et participe pleinement à faire des canaux un objet patrimonial.  Mieux comprendre le territoire permet aussi d’ajuster les supports touristiques en mettant en valeur des patrimoines méconnus.

"Les photographies des tournées chez Casino, de l’icône de la modernisation des

campagnes à la trace d’un territoire rural"

Hélène RIVAL 

Dans le fonds Casino aujourd’hui déposé aux Archives Municipales de Saint-Étienne, la place de la photographie se concentre dans une trentaine d’albums soigneusement tenus sur plus de cinq décennies, de 1925 à 1983. Rarement signés, documentant tout autant la vie de l’entreprise que les pratiques commerciales à développer, les clichés ont majoritairement été produits afin d’alimenter les publications internes. Si on parcourt aujourd’hui ces images comme autant de vestiges d’une histoire linéaire, leur réalisation s’inscrit en réalité dans une stratégie éditoriale spécifique, entre publicité et management: elles accompagnent l’expansion géographique d’un distributeur succursaliste.

Le statut particulier de la photographie dans l’archive d’entreprise souligne avec acuité la « précarité » de l’image photographique, entre icône chargée de sens et pur index d’un « ça a été ». Dans le cas de Casino, elle semble se redoubler d’un « ça a été là » étroitement lié à la fabrique d’un territoire. Pour aller au plus près de cette question territoriale, on abordera les modalités de mise en place des « tournées », entre 1948 et 1955. Utilisant un réseau routier en plein développement, l’entreprise cherche alors à s’implanter plus profondément dans les territoires ruraux. Suivant un itinéraire soigneusement cartographié, la camionnette peinte aux couleurs de l’enseigne sillonne les routes du sud-est, apportant dans les villages, en même temps que les marchandises, l’image d’une modernité pimpante et motorisée. Pour inciter les gérants des succursales déjà implantées à investir dans un véhicule utilitaire et publicitaire, Casino publie chaque semaine dans les pages de sa revue interne des photographies iconiques du rituel de la tournée. Parallèlement, les constructeurs automobiles, partenaires de l’opération, utilisent les mêmes images pour vanter les qualités de leurs fourgonnettes.

À partir de l’étude d’une sélection de ces photographies, on s’interrogera sur les modalités de construction d’une icône de la motorisation des territoires. On cherchera à comprendre comment cette image publicitaire conçue pour vendre autant les marchandises que les véhicules qui les transportent, finit par devenir une icône mémorielle. On verra en particulier comment la stratégie publicitaire de Casino, qui s’appuie sur les pratiques habituelles des industriels de l’automobile et de la route, contribue à dessiner les contours d’un territoire. 

Parallèlement, on questionnera les transcodages à l’œuvre lors des opérations de numérisation de ces archives photographiques. On proposera une cartographie numérique des clichés et on cherchera à définir quel type de territoire le patrimoine photographique peut contribuer à construire, entre vestige indiciel et icône mémorielle. Sans doute pourra-t-on in fineinterroger la place du support cartographique lui-même au sein de pratiques patrimoniales du territoire finalement peu éloignées des itinéraires commerciaux.

"Territoires d’évasion. Ruptures géographiques et continuités intimes dans le film de famille"

Rodolphe OLCÈSE 

Envisagé à l’aune du film de famille et ddes pratiques amateurs, le territoire se comprend comme un espace radicalement ouvert, toujours confronté à une idée d’extériorité. Il se présente fondamentalement comme un espace d’évasion. En effet, les particuliers filment à des fins personnelles et intimes lorsqu’ils en ont le loisir, c’est-à-dire, le plus souvent, lorsqu’ils sont en vacances. Le territoire capté dans ces moments d’arpentage touristique d’un lieu qui peut être à la fois exotique et familier s’origine donc dans un déplacement. C’est à partir de cette idée de déplacement qu’il s’agit de comprendre cette notion de territoire. Quelle géographie peut révéler l’inscription d’une intimité dans un espace public ? Dans quelle mesure la mémoire, par le film amateur, d’un instant de vie intime et familiale, produit-elle une forme de patrimonialisation du territoire ? En quoi peut-elle rencontrer un effort pour faire de certains territoires des lieux de mémoire ?

Ce sont les questions que nous souhaitons aborder à partir d’un travail sur des fonds d’archives familiales en dépôt à la Cinémathèque de Saint-Etienne. Dans plusieurs collections de films consultées, la dimension de déplacement évoquée ci-dessus est immédiatement sensible. Au gré de l’assemblage des bobines films en vue de leur numérisation, et parfois même dans la chronologie des prises de vues elles-mêmes, si les sujets filmés restent les mêmes, les environnements dans lesquels ils sont saisis changent sans transition. Les vues en bords de mer coexistent avec des plans filmés en montagne, ou dans quelque autre site touristique. On remarque notamment, dans l’un des fonds consultés, un long moment à caractère documentaire filmé à Oradour-sur-Glane dans la Haute-Vienne.

La co-extensivité intime de lieux géographiquement distincts permet de renouveler l’approche de la notion de territoire, en mettant en suspens la question de son unité physique au profit d’un travail de l’écart et d’une dynamique du proche et du lointain. En morcelant et fragmentant ces lieux de vacance, le film de famille en révèle des aspects qui nous échappent par leur familiarité même. En effet, si les films de famille consultés commencent par troubler profondément le rapport de participation en exhibant des singularités intimes dont nous sentons immédiatement qu’elles sont sans rapport avec nous, ils introduisent une brèche dans la frontalité de ce rapport par les territoires mêmes engagés dans ces films qui quant à eux se signalent d’emblée comme des espaces que nous aurions pu nous-mêmes filmer. Cette tension entre le privé et le public produit un surcroit de visibilité de lieux qui finiraient par disparaitre dans leur caractère très commun et a priori non remarquables. Notre hypothèse est donc que cet écart infranchissable, qui trouve des échos dans les défaillances techniques propres au film amateur, révèle à eux-mêmes ces lieux d’évasion et prend en charge leur inscription dans un patrimoine intime et personnel.

Cette communication s’accompagnera, à la fin du colloque, de la projection des films évoqués sur leur support d’origine – 8 mm, 9.5 ou 16 mm – dans le cadre d’une séance réalisée en partenariat avec la Cinémathèque de Saint-Étienne.

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