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RÉSUMÉS DES INTERVENTIONS

8. LA QUESTION DU BÂTI

 

"L’Appropriation du patrimoine au fait de la médiation : Regards sur un construit social. Cas du centre historique d’Alger" 

Lamia MANSOURI  

Aujourd’hui la notion de patrimoine extensive et fluctuante ne s’appréhende plus exclusivement en vue des valeurs intrinsèques à l’objet mais au regard de celles que la société lui attribue. Nous assistons de ce fait à un retournement décisif de la question patrimoniale qui sera portée sur l’aspect relationnel entre une société et l’héritage de son passé. Cette relation est basée sur le regard qualifiant porté par la société du présent sur l’héritage de celles qui l’ont précédée, ce qui renvoie à une interprétation du passé conduite en fonction de critères contemporains. Ce réinvestissement du passé par le présent met en exergue l’importance d’envisager la dimension de l’attachement de la société à ce qui représente son héritage et démontre que ce dernier ne prend d’intérêt et de sens qu’au regard de ceux qui le reçoivent.

En Algérie, l’établissement de la Loi n° 98-04 relative à la protection du patrimoine culturel marque le début de la constitution d’une véritable politique du patrimoine en. Cette derrière insuffle une nouvelle dynamique dans les démarches de restauration et de réhabilitation. Sur le plan exécutif, elle se caractérise par une volonté de décentralisation, et de création d’organes spécialisés et autonomes. Nonobstant à cela la promulgation des textes et des décrets d’application met l’outil législatif au centre de la politique nationale du patrimoine.

  • Mais après tous ces efforts qu’en est-il de la prise de conscience et la responsabilisation des algériens envers leur patrimoine ?

  • Existe-t-il une forme d’enracinement et d’attachement au patrimoine bâti et aux valeurs qu’il véhicule ?

  • Une déperdition de ce sentiment n’exposerait pas la perte du sens même du patrimoine ?

Un simple survol de la réalité apporte la constatation d’une désuétude reflet d’une distance consommée entre la société et son patrimoine.Une contextualisation de ces observations au centre historique d’Alger confirme ce diagnostic et nous engage dans une démarche expérientielle qui vise à expliciter cette situation au prisme de la dimension appropriationelle terme du rapport développé par les pratiquants du centre historique d’Alger au patrimoine bâti.

L’hypothèse que nous avons retenue est que cette appropriation est indexée à une construction culturelle d’une valeur patrimoniale au fait de la médiation. L’interrogation est alors portée sur les stratégies communicationnelles engagées sur dans la constitution d’une interface relationnelle favorisant les interactions physiques, cognitives et émotionnelles avec le patrimoine. Les trois domaines au travers desquels furent relevées et étudiées les postures d’appropriation au patrimoine adoptées par les enquêtés et leur impact à l’offre de médiation sur site.

  • Le domaine du sensible : Ce domaine relève de toutes formes de relations et d’impressions vécues que le sujet investit et construit avec le centre historique. Il permet d’évaluer les formes d’appropriation qui ne peuvent se lire que dans l’impression subjective que le discours met en scène.

  • Le domaine de la cognition : Concerne l’évaluation de l’aptitude des enquêtés à développer des connaissances sur le centre historique afin d’évaluer leur appropriation cognitive du lieu.

  • Le domaine de l’action : L’action à ce niveau n’est pas appréhendée comme un signe physique produit par l’enquêté mais comme un marquage investit d’un sens symbolique.

C’est dans cette perspective que nous avons relevé les formes de marquage engagées par les enquêtés au travers de leur pratique du site. La méthodologie d’approche adoptée prend en compte les spécificités du contexte de l’étude. Dans sa conception, elle s’est appuyée sur une stratégie scandée par une mise en combinaison séquentielle de deux phases d’enquêtes complémentaires. Le premier temps de la compréhension a été posé comme un diagnostic communicationnel du centre historique au travers de l’analyse de la médiation patrimoniale entendu comme une entité énonciatrice d’une volonté de mise en relation avec le public récepteur. L’analyse a porté sur les marques de cette énonciation à savoir l’inscription du contenu sur des dispositifs matériels et le programme d’usage de ces derniers au travers des dimensions physiques, techniques et médiatiques.

Le deuxième temps de notre scenario méthodologique fut porté sur l’enquête par entretien. L’objectif étant la compréhension des modalités d’appropriation du patrimoine bâti au travers d’un échantillon représentatif de la population ciblée et des groupes sociaux qui la composent. La catégorisation de la population d’étude a été définie pour répondre à toutes les configurations possibles (les résidents-les travailleurs sur site et les pratiquants occasionnels du site.) Cet outil méthodologique de narration a eu la capacité de mettre en discours le centre historique par les enquêtes selon leurs représentations, leurs modalités de compréhension et leurs pratiques du lieu.

"La guerre des monuments - syndrome identitaire de l’Ukraine post-soviétique"

Nataliia MOROZ 

Le patrimoine porteur de valeurs esthétiques, commémoratives et historiques est très souvent considéré comme l’un des marqueurs de l’identité territoriale et nationale. En tant que bien collectif, il a souvent un rôle important dans la création de liens sociaux voulus ou forcés, ces derniers participant à la « cohésion politique d’une communauté et d’un territoire, quelque chose qui transcende les oppositions de ses membres et les réunit, symbolisant l’exceptionnel, l’identitaire, voire le magnifique » (Greffe, X., 2014, p. 6). Le patrimoine culturel ukrainien se retrouve confronté aux tensions géopolitiques et idéologiques qui se traduit par une « guerre des monuments ». Ce phénomène singulier, propre à la réalité ukrainienne, s’est manifesté lorsque le pays, en proie au conflit dans le Donbass, s’est divisé « entre deux versions de l'histoire ukrainienne : soviétique et traditionnelle nationale » [1] (Стародубець, Г., et al., 2014).

Comme tout Etat-nation, l’Ukraine possède ses normes et ses fondements législatifs gérant ses biens communs et les années d’indépendance ont produit des effets dans tous les domaines de la vie sociale y compris dans le secteur de son patrimoine culturel – porteur de symboles idéologiques et identitaires.  A la suite de la chute de l’Union soviétique, une nouvelle politique de mémoire a émergé dans le pays. Dans un premier temps, cela s’est manifesté par « le contrôle sur la reconstruction de la connaissance sur le passé » [2] à travers l’interprétation de l’histoire, la réorganisation de connaissances historiques à enseigner, l’organisation des archives et collections muséographiques, la propagande à travers les monuments et les pratiques commémoratives. Une forme de « dé-communisation » touchant à l’espace des signes et des symboles s’est installée avec l’objectif de détruire des repères du passé, de se libérer de l’influence et des conséquences de l’idéologie communiste. Une nouvelle politique de mémoire à travers l’institutionnalisation et l’instrumentalisation de la mémoire historique collective est désormais en cours procédant à l'enlèvement des monuments de l’époque précédente » et au « démantèlement des monuments à la gloire des responsables soviétiques » (Kis-Marck, 2016), puis à leur remplacement par de nouveaux symboles de la lutte pour la liberté nationale. 

Le but de cette recherche est donc d’identifier le degré des transformations patrimoniales subi par les territoires ukrainiens suite à cette nouvelle politique de mémoire et leurs conséquences possibles sur l’attractivité touristique du pays. En effet, le passé soviétique reste un élément consubstantiel à l’Ukraine dont l’effacement total pourrait se montrer préjudiciable à long terme sur le plan touristique. Cette partie de l’histoire peut inciter les étrangers à venir découvrir le pays dans toute sa complexité induite par son passé multidimensionnel, car « outre leur signification idéologique, certains monuments peuvent également faire fonction d’œuvre d’art et avoir une valeur artistique » [3] (Гайдай, 2015 p. 42). Par ailleurs, de nombreux faits prouvant l’héroïsme ou le romantisme de la nation ukrainienne peuvent aussi être des éléments clés dans la formation d’une image positive de l’Ukraine dans les représentations des citoyens d’autres nations. 

 

1. Traduit de l’ukrainien, texte original : « сучасна постсовєтська Україна стала полем битви між двома версіями української історії: совєтською та українською традиційною »

2. Traduit de l’ukrainien. Texte original : « контроль над конструюванням знань про минуле »

3. Traduit de l’ukrainien. Texte original : « Щодо пам’ятника, то, крім ідеологічного значення, він може виступати також витвором мистецтва та мати художню цінність »

"Un patrimoine oublié. La place des ruines abandonnées dans un territoire à vocation mémorielle (les cas de Berlin et Auschwitz)"

Nathanaël WADBLED

Pour être reconnu comme un élément du patrimoine, un lieu doit être identifié comme ayant une valeur historique. Il documente sa fonction initiale. Son intérêt patrimonial ne provient donc pas essentiellement de celle-ci, mais de sa capacité à la faire connaître et à en transmettre la mémoire. Le territoire où il se trouve doit être balisé afin de le mettre en valeur, en signalant son existence et en en donnant une interprétation la fois immédiatement perceptible et compréhensible. Sans cela, les traces du passé ne sont pas perçues comme des vestiges. Dans un territoire mémoriel, un tel espace est comme un non-lieu. Cette communication se propose de considérer la manière dont s’agencent alors le patrimoine et les lieux abandonnés. Cela se fera à partir de l’analyse précise de deux territoires où des ruines sont oubliées de la mise en valeur patrimoniale : Berlin et le Musée-Mémorial Auschwitz.

Dans les deux cas, ce sont des espaces identifiés comme des hauts lieux du tourisme mémoriel de la Seconde Guerre mondiale et de la Shoah. Pourtant, à leur périphérie, de nombreux sites ne sont pas patrimonialisés. Ils sont à l’abandon et se présentent comme des ruines. Il s’agit par exemple des bunkers de Wünsdorf à côté de Berlin ou des bâtiments industriels d’Auschwitz III Monowitz-Buna. Ils présentent en eux-mêmes un intérêt historique important, mais sont exclus du territoire mémoriel. Ils sont peu ou pas signalés. Cette situation est révélatrice de la manière dont ces territoires mémoriels se constituent autour d’un haut-lieu balisé, excluant de fait ce qui se situe à la périphérie.

Les visiteurs ne s’y rendent pas le pour leur valeur historique, mais dans le cadre d’un intérêt pour l’exploration urbaine. Contrairement aux monuments du patrimoine, leur attractivité provient de ce que l’historien de l’art Alois Riegl nomme leur valeur d’ancienneté. Elle marque la réinscription des constructions humaines dans les cycles de la nature marqués par l’érosion et la production constante de nouvelles formes qu’elle permet. Il y a un enchevêtrement entre les constructions humaines et la nature s’opposant au milieu urbain caractérisé par une artificialisation croissante protégée de l’érosion du temps. Ces lieux abandonnés apparaissent donc comme le patrimoine du rapport de l’homme à la nature que comme celui de la Seconde Guerre Mondiale ou de la Shoah. Les restes du passé présents dans la même zone marquent ainsi deux espaces distincts, qui sont en fait deux territoires distincts.

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