RÉSUMÉS DES INTERVENTIONS
6. LA COLLECTE DE TÉMOIGNAGES
"Collecter des témoignages pour la mémoire d’une société rurale en mutation"
Simon-Pierre DINARD
Le projet « Collecter et transmettre la mémoire des sociétés rurales ligériennes » est parti du constat fait, dans la Loire comme sur le reste du territoire national, de fortes mutations du monde agricole depuis 1945 et de leur impact sur les sociétés et les espaces ruraux. En effet, la restructuration de l’agriculture française engagée depuis plusieurs décennies entraîne une baisse continue du nombre d’exploitations (-30 % entre 2000 et 2010 dans la Loire) et du nombre d’unités de travail agricole (- 52 % entre 1988 et 2010). Désormais, une exploitation sur trois se retrouve en zone urbaine (en 2010). Toutefois, avec 62 % de territoires agricoles, la Loire se positionne toujours en deuxième place au niveau régional, derrière l’Allier (6e rang en surface, en 2012).
La reprise de la croissance démographique depuis 1999 dans le département cause des tensions sur le foncier agricole. Le Conseil départemental a pris en conséquence des mesures pour maintenir et renforcer le potentiel foncier agricole, inscrites à l’Agenda 21. Il y a certes nécessité de préserver l’activité agricole, mais aussi d’accueillir de nouveaux arrivants dans les villages. La cohabitation de ces populations aux histoires différentes, la formation de nouvelles sociétés rurales, seront facilitées par la connaissance et la transmission des mutations du monde rural depuis 1945. Des chercheurs comme Geneviève Gavignaud-Fontaine[1] ont en effet parlé de véritable « révolution rurale » advenue dans ces territoires.
Il est donc devenu important de recueillir le témoignage des acteurs des mutations agricoles pour enrichir les archives publiques déjà collectées (services de l’État et du Conseil départemental, ONF, DDAF…) et apporter un point de vue complémentaire. Les Archives ont ainsi établi une grille d’enquête afin de recueillir des témoignages enregistrés ou filmés sur des mutations importantes comme la mécanisation, le productivisme, l’exode rural, le remembrement, la rurbanisation... En effet, les premiers témoins du développement de la mécanisation et du productivisme dans l’immédiat après-guerre commencent à disparaître, par la force des choses. Un premier axe de collecte vise donc des témoins retraités, des générations nées dans les années 1930 et suivantes. Le Pilat a ainsi été investigué, en passant par des relais locaux (élus, associations).
Le deuxième axe s’attache à interroger des témoins ayant eu des responsabilités syndicales et/ou politiques. La Loire a en effet fourni des cadres au syndicalisme agricole, dont certains ont même eu des responsabilités au niveau national, voire européen (Robert Duclos). Elle continue d’ailleurs à avoir des personnalités d’envergure nationale (Laurent Pinatel). La grille d’enquête, qui est un simple parcours biographique, comprend une partie consacrée aux engagements personnels, politiques et syndicaux. Enfin, l’objectif de cette collecte est certes de constituer des sources pour la recherche à venir, dans tous les domaines (histoire, sociologie, anthropologie, géographie…). Même si les exploitations futures ne sont pas toujours prévisibles dès la collecte, il est important d’avoir à disposition des sources sous forme d’archives brutes. Alors qu’il faisait sa thèse en dialectologie, Lucien Barou a constitué un corpus inestimable, en recueillant la parole de poilus, à un moment où celle-ci commençait à s’éteindre.
L’objectif est aussi de répandre cette pratique. Basé pour une bonne part encore sur l’observation, le savoir-faire agricole se transmet dans un cadre normalisé d’enseignement, mais aussi au sein de l’exploitation. Or la transmission de l’outil de travail et de son mode d’emploi, traditionnellement assuré dans un cadre familial, pose des difficultés de nos jours en l’absence de repreneurs. L’enregistrement de témoignages doit pouvoir être utilisé dans un but pédagogique de transmission de la connaissance, dans (lycées agricoles) et hors du cadre scolaire. La pratique de collecte de témoignages oraux et audiovisuels s’est développé dans les Archives après la Seconde Guerre mondiale. Dans une société de plus en plus consommatrice d’images, il convient de la répandre de façon plus systématique, en complément des archives traditionnelles collectées.
1. Geneviève Gavignaud-Fontaine, La Révolution rurale. Essai à partir du cas américain (U.S.A), Le Coteau, Horvath, 1983.
"L’action « Don de mémoire » au sein du Réseau Patrimoine et Territoire, une initiative de l’écomusée PAYSALP"
Lucinda PERRILLAT-BOITEUX
Situé dans un territoire de moyenne montagne, l’écomusée PAYSALP est né à la suite d’un bouleversement de la vie locale liée à la délocalisation industrielle d’une entreprise parisienne sur la commune de Viuz-en-Sallaz en 1957. L’afflux de nouvelles populations va provoquer une prise de conscience patrimoniale de la part de certains habitants qui vont commencer à collecter et valoriser le patrimoine local. De fil en aiguille, l’association va grandir et donner naissance à un écomusée qui gère aujourd’hui un réseau de sept sites d’interprétation du patrimoine. Souhaitant élargir son champ de compétences de collecte et de valorisation du patrimoine tout en restant sur la dynamique de territoire chère aux écomusées, l’association initie une démarche de réflexion et concertation des communes proches du territoire d’action de l’écomusée entre 2004-2006. Ce diagnostic territorial aboutit à l’idée de fédérer les communes alentours autour d’actions de collecte, transmission et valorisation du patrimoine. Préfigurée en 2006 avec l’organisation d’un forum du patrimoine à l’occasion des Journées Européennes du Patrimoine, la réalisation de ce projet a lieu en 2008 avec la création officielle du Réseau Patrimoine et Territoire. Il regroupe des communes adhérentes à l’association pour la mise en œuvre de différentes actions cohérentes, concertées et coordonnées autour du patrimoine sur le territoire.
Le Réseau Patrimoine et Territoire regroupe à l’origine 14 communes, représente 5 vallées différentes et concerne environ 20000 habitants. Entre 2009 et 2013, les actions réalisées dans le cadre du réseau bénéficient d’un soutien via deux projets Européens : "Traditions Actuelles" et "Patrimoines en Chemins". Ensuite, le réseau va se développer à la fois sur un territoire plus éloigné du siège de l’écomusée mais aussi en nombre de communes adhérentes. Aujourd’hui, ce sont vingt-deux communes qui ont ou qui bénéficient encore de l’accompagnement de l’association dans le cadre du réseau et des actions « Don de mémoire ». Le « Don de mémoire » se décline ainsi :
-
Collecter via une collecte de mémoire (orale, documentaire) des recensements du patrimoine matériel et immatériel existant, etc.
-
Transmettre via des actions pédagogiques à destination des scolaires (animation « Chasseurs de souvenirs »), des nouveaux arrivants (kits de patrimoine de bienvenue), via des expositions, des travaux de recherches, via une base de données en ligne (www.memoire-alpine.com)
-
Valoriser la collecte et les actions pédagogiques grâce à des expositions, des séances et des ateliers participatifs autour du patrimoine (Souvenirs de nos villages), un centre de ressources (médiathèque patrimoine, base de données, etc), de l’ingénierie culturelle.
Les actions « Don de mémoire » ont pour but de faire vivre et connaître le patrimoine du territoire tout en lui donnant du sens. Les actions sont définies en fonction du territoire et avec les élus, bénévoles et forces vives de celui-ci : quels acteurs ont été impliqués ? retour sur la démarche auprès des communes ; la méthode de collecte mise en œuvre ; les actions pédagogiques ; et quel avenir pour ce programme après dix ans d’existence ? Nous proposons de faire un retour critique sur ce programme « Don de mémoire » et sur les actions menées par l’écomusée dans ce cadre.
"Collectionner des navettes pour collecter des récits : Appréhender le rapport au temps industriel à partir d’objets rencontrés sur les trottoirs de Verviers (BE)"
Baptiste AUBERT
À partir d'une collection de navettes volantes que je constitue dans la ville de Verviers en Belgique où je mène ma recherche de doctorat en anthropologie, je propose de réfléchir à l’utilisation des objets dans la production d’un récit mémoriel. Longtemps collectionnées par les Verviétois-e-s en tant qu’objet-souvenir, les navettes de métiers à tisser se retrouvent aujourd’hui mises en vente sur les trottoirs de la ville lors de brocantes organisées régulièrement les dimanches d’été. Ces objets dont la valeur d’usage a changé plusieurs fois au fil du temps passant d’outil, à objet-souvenir puis d’objet-souvenir à marchandise m’intéressent pour leur capacité à faire émerger des récits. Après avoir présenté quelques extraits de récits que les vendeurs et les vendeuses énoncent sur les navettes au moment où ils / elles s’apprêtent à s’en séparer, je me demanderai quels types de rapport au passé dans l’ancienne ville industrielle ces navettes permettent-elles de mettre à jour.