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RÉSUMÉS DES INTERVENTIONS

9. PATRIMOINE LOCAL ET IDENTITÉ TERRITORIALE

 

"Entre la poire et le fromage. Les patrimoines alimentaires et culinaires, nouveau Graal des collectivités territoriales : le cas de la fourme de Montbrison" 

Aurélie BRAYET   

Depuis 2018, la Fourme de Montbrison a obtenu une reconnaissance de sa valeur patrimoniale par son inscription à l’inventaire français du patrimoine culturel immatériel. AOC à part entière depuis 2002, AOP depuis 2009, ce fromage à pâte persillée issu de la transformation de laits de vache crus ou pasteurisés, était déjà au cœur d’une stratégie de promotion du territoire par le patrimoine avec un musée de la Fourme (1968) et un label site remarquable du goût (2007). Avec ce nouveau label, qui donne à ce produit une visibilité dépassant les frontières du Forez et de la Loire, les acteurs locaux jouent pleinement la carte « patrimoine alimentaire et culinaire » pour développer leur territoire1.

Ce phénomène de patrimonialisation des savoir-faire du goût n’est pas un cas isolé. Bien au-delà de la reconnaissance patrimoniale et paysagère des vignobles, l’idée d’un patrimoine de savoir-faire du goût et des produits agricoles locaux fromagers et fruitiers se répand (CSERGO, DELFOSSE). Côté fruits, pensons aux cassis de Dijon ou de l’Ile d’Orléans (Québec), aux citrons de Menton et de la côte Amalfitaine (Italie), aux fraises de Plougastel, aux cerises de Sefrou (Maroc)... En revanche, côté fromages, si la France met en avant ses traditions fromagères, la Fourme de Montbrison est parmi les produits précurseurs dans une démarche d’association entre patrimoine et développement local.

Dans un contexte marqué par les enjeux du dérèglement climatique, la quête d’une alimentation de qualité, le soin à apporter aux mondes et paysages ruraux, certains produits locaux, dits « du terroir » apparaissent comme des outils de développement et de promotion du territoire. Dès lors, l’obtention de labels de qualité (AOP, AOC...) ne semble plus suffisante et une course aux labels patrimoniaux - identifiables et communicables - est lancée. Cela questionne patrimoine et régimes de patrimonialisation (DAVALLON, RAUTENBERG, GRAVARI-BARBAS). Que cela soit en termes de performativité, de marchandisation et de mobilisation du patrimoine à des fins économique, de développement d’activités associées comme le tourisme, ou en termes de politiques du patrimoine qui s’érigent en « marque » (JACOBS).

À travers l’étude de cas locale sur la Fourme de Montbrison, il s’agira dans un premier temps de décrypter dans l’ensemble des discours produits pour promouvoir ce fromage et le territoire qui lui est associé, les vertus supposées du patrimoine, les mythes et les imaginaires qui le traversent (LACHAUME), puis, dans un second temps, de mettre en confrontation ce récit thaumaturgique du patrimoine comme outil du développement territorial avec la réalité d’un quotidien in situ (TURGEON). En comparaison avec des stratégies différentes (Fourme d’Ambert) ou comparable (Roquefort, Salers) nous montrerons en quoi le « choix patrimonial », à la fois fédérateur au niveau des acteurs concernés, catalyseur de bonnes pratiques mais aussi intrinsèquement figeant parce que normé, peut être un outil de développement territorial. On peut ainsi lire sur le site web www.fourme-de-montbrison.fr : « Le nouveau label laisse présager un avenir prometteur tant sur la plan économique, touristique que humain. L’ultime consécration pour les producteurs fiers de leur héritage, serait maintenant un titre au patrimoine mondial de l’Unesco. » Valoriser et donner une vocation patrimoniale à ce produit, pour quoi faire ? Et ça change quoi ? Quels sont les impacts escomptés sur le territoire ?

"Un patrimoine treiziste dans un territoire urbain : rôles, interactions et contributions autour d’une identité sportive singulière"

Nathalie JOUBERT et Eric CASTEX

Le rugby à XIII est pratiqué depuis 80 ans au nord de Toulouse dans le quartier des Minimes au sein du Toulouse Olympique XIII (TO XIII), Club créé en 1937 et structuré en plusieurs entités qui gèrent notamment l’école de rugby, le centre de formation, une équipe loisirs et deux équipes disputant la Coupe et le Championnat de France, et le Championnat anglais. Deux autres entités regroupent des décideurs, chefs d’entreprises et partenaires. Ce Club favorise une cohésion sociale et mobilise des acteurs variés, salariés et bénévoles, avec des rôles bien définis, certains contribuant à garantir les gestes et les lieux (équipements et espaces sportifs normalisés) : dirigeants, membres des associations, pratiquants (enfants et adultes joueurs), encadrants, éducateurs, entraîneurs, soigneurs, arbitres, partenaires publics et privés, médias, organisations départementales, nationales et internationales, supporters. Le TO permet ainsi des rapports distincts de la famille ou du travail (Blanchard, 2009).

La pratique de ce sport est ancrée dans ce quartier avec son histoire, ses lieux, ses hommes et ses femmes. Des supporters ont pris récemment conscience que le TO XIII est un patrimoine. Ils mènent ainsi des actions de médiation pour sensibiliser les publics à ses valeurs patrimoniales dans son territoire racine et mettent en exergue une identité territoriale singulière et communautaire autour du rugby à XIII. Pour J. Davallon, il y a une différence d’intention entre mémoire et patrimoine. Lorsqu’un collectif reconnaît à un objet une valeur patrimoniale, ce n’est pas juste par nécessité de se rappeler mais c’est pour construire un lien nouveau entre le présent et le passé (Davallon, 2015, 2008). Qu’est-ce qui unit les treizistes d’aujourd’hui à ceux d’hier dans ce territoire urbain ? Quels sont les origines, les fondements, et les objectifs partagés par cette communauté depuis 80 ans ? En quoi ce patrimoine sportif de proximité est-il une ressource pour le quartier des Minimes et dans quels domaines ? Comment ce patrimoine peut-il être transmis en tant que « produit d’une construction sociale » (Michon et Terret, 2004), en tant que relation entre un sport, une population et un espace (Requier-Desjardins, 2009) ? À quoi peut-il servir en tant que dynamique économique et source de partage social ?

Après une présentation du contexte territorial et des acteurs du XIII aux Minimes, nous présenterons les différentes interactions éducatives, citoyennes, sociales, économiques que ce Club génère et entretient dans ce quartier. Une troisième partie sera consacrée à l’analyse, dans une approche en Sciences de l’Information et de la Communication, des dispositifs qui favorisent la réaffectation des valeurs patrimoniales du TO XIII dans le présent, permettent de maintenir un lien qui a du sens avec le passé et d’entretenir l’appartenance sociale singulière, symbolique et identitaire.

"Découverte à Saint-Romain-la-Motte des sculptures en terre cuite du vigneron Pierre Martelanche (1849-1923), longtemps abandonnées, considérées aujourd’hui comme « chef-d’œuvre d’art populaire » et inscrites à l’inventaire du patrimoine historique le 24 octobre 2013"

Jean BARTHOLIN, Quentin BAZIN et Aline BOUCHER 

Au printemps 2011, la Communauté de Communes de la Côte Roannaise charge l’écrivain voyageur ethnologue, Jean-Yves Loude, d’enquêter sur le patrimoine caché d’une région enclavée mais au territoire géographiquement bien défini : la Côte Roannaise. L’enquête prendra la forme d’un voyage de cinq semaines reliant à pied, en compagnie de deux ânes, les 19 communes repérées. L’objectif est la publication d’un récit littéraire qui permette de partager avec les lecteurs, proches et lointains, des richesses patrimoniales insoupçonnées. L’intention des élus, promoteurs du projet « Voyage avec mes ânes en Côte Roannaise », est de montrer que la culture est un moteur essentiel du développement économique d’une région située hors des sentiers battus.

L’initiative est couronnée de succès. Après la mise en lumière à Villemontais de Marius Vergiat, photographe spécialiste des Pygmées d’Oubangui-Chari, dont les plaques photographiques reposent dans les caves du Musée Déchelette ; après la mise en valeur des caricatures de guerre du peintre sculpteur Jean Rouppert, à Saint-Alban, se produit le miracle d’une découverte totalement inattendue, à Saint Romain-la-Motte : celle des sculptures en terre cuite d’un vigneron autodidacte, Pierre Martelanche, abandonnées dans une cabane de vigne recouverte de vigne vierge. Elle eut lieu le 13 juin 2011. Pierre Martelanche est une figure remarquable.

En 1900, le vigneron Pierre Martelanche, alors âgé de 50 ans, commence à sculpter avec de la terre glaise des figures, principalement féminines, afin d’exprimer ouvertement les idées qui lui sont chères et qu’il ne parvient pas à exposer autrement : le droit à l'éducation pour tous (et surtout pour les filles), la résolution des conflits (il a subi la guerre de 1870), le dialogue des cultures et des peuples. Il modèlera jusqu’à sa mort en 1923 une centaine de pièces assemblées en colonnes personnalisées (« la tour de la fonte des canons », « la tour des Républicains », « la prise de la Bastille »...). Il gravera également dans la glaise une table de la « Déclaration des Droits de l’Homme » et un bas- relief sur la nécessité de l’éducation. Martelanche réunira ses créations dans une cabane de vigne, proche de sa maison. Il l’appellera son « Petit Musée » qu’il fera visiter avec l’intention de réunir des fonds pour la construction d’une école.

Aussitôt, les œuvres de Martelanche font l’objet d’une attention particulière. Tous les témoins de cette découverte ont conscience qu’il s’agit d’un patrimoine hors du commun. Une restauratrice des Monuments Historiques vient aider à extraire les sculptures hors de la cabane et à les mettre en sécurité dans une réserve appropriée. Toutes les pièces sont nommées, numérotées, photographiées, décrites, diagnostiquées quant à leur état de conservation. L’ensemble sera inscrit à l’inventaire en octobre 2013.

Une association est créée pour assurer la sauvegarde des œuvres, envisager leur restauration, imaginer la meilleure restitution au public. La famille de l’héritier de Pierre Martelanche, Gabriel Boucher, fera souvent visiter la réserve aux spécialistes de l’Art Populaire et journalistes. Des médias importants (France Culture, France Inter, Radio Suisse Romande, France3, Lyon Magazine...) attestent l’intérêt artistique et humaniste de cette découverte. Ils insistent tous sur la chance de la région qui l’abrite, pour son rayonnement futur. Cet avis est unanime sauf pour les plus proches intéressés, les habitants du voisinage, qui affichent une indifférence voire, parfois, une hostilité vis-à-vis de ce patrimoine généreux.

Le souhait de donation de l’ensemble des œuvres à la commune de Saint-Romain-la- Motte est ruiné par une sourde opposition locale. La famille des héritiers, bien consciente que cette richesse doit profiter au public le plus vaste possible, envisage d’autres possibilités de donation, au risque de voir les sculptures s’éloigner de leur lieu de création. Au printemps 2019, les démarches de donation continuent, rendues complexes par le statut des œuvres « classées » et le montant important des opérations de restauration et de soclage. Des solutions sont pourtant en vue. Le « cas Martelanche » permet de poser toutes les questions relatives au bénéfice qu’un territoire rural peut ou non tirer d’un patrimoine de grande valeur.

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